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LE DESTIN DES HOMMES

la moitié du temps, je vais manger au restaurant. Vous savez, les servantes sont difficiles à trouver. Lorsque vous reviendrez, vous passerez, je l’espère, quelques jours avec nous.

Le père n’était pas dupe de ces maladroits mensonges que son fils inventait tout en parlant.

Oui, ils avaient été séparés dans la vie et le fils était devenu indifférent à l’endroit de l’auteur de ses jours. Le garçon s’était fait une carrière, il avait vécu loin de lui, il avait ses amis, ses connaissances, les parents de sa femme. À cette heure, le père n’était qu’un intrus dans cette famille.

— On se reverra, hein ? fit le fils, en touchant mollement la main de son père.

Deux étrangers qui se quittaient.

C’est ainsi. L’on veut revoir des êtres qui nous furent chers et l’on ne rapporte que de stériles regrets.

Le père s’en allait amèrement déçu.

Le désappointement, c’était son lot.

Le dernier lien qui le rattachait à l’humanité était brisé.

Désormais, il était seul dans la vie. Tous les hommes qu’il rencontrait lui étaient étrangers. Personne ne s’intéressait plus à lui.

Massé déambulait dans les rues de la petite ville en songeant à ces choses. Sa tête était lourde, ses esprits confus. Il marchait sans trop savoir où il allait. Son cerveau était las ; ses jambes étaient lasses. Devant une boutique d’horloger, il regarda l’heure. Cinq heures. À ce moment, il éprouva un grand besoin de repos. Oui, s’étendre dans un lit et essayer de dormir, essayer de plonger dans le sommeil pour échapper à la cruelle réalité. Juste à ce moment, dans la porte d’un vaste immeuble en brique, il aperçut