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LE DESTIN DES HOMMES

mais brusquement, il fonça en avant, ouvrit la porte et se trouva dans un bureau. Son fils donnait des explications à un client. De la main Victor indiqua un siège au visiteur. Pendant que les deux hommes parlaient, Massé examinait celui qui était son fils. Ah ! les années l’avaient bien changé, avaient mis sur sa figure un masque dur et même antipathique.

L’étranger parti : Que puis-je faire pour vous, monsieur ? interrogea l’opticien en se tournant vers son père.

— Comment, tu ne me reconnais pas ? demanda celui-ci en regardant son fils bien en face.

À ce son de voix, et en fixant profondément la figure dressée devant lui, Victor s’exclama : Ah ! mon père. Je ne me remettais plus votre figure. Ça fait du temps qu’on ne s’est pas vu et, pour dire la vérité, vous n’avez pas rajeuni. Puis, je suis fatigué, très fatigué, et j’ai peine à me rappeler le passé. Mais vous, malgré les années, vous paraissez bien.

— La santé n’est pas mauvaise, c’est le moral qui est affecté.

— Je comprends, fit Victor, puis il ajouta : Êtes-vous ici pour longtemps ?

À cette question, Massé vit le faible degré d’attachement que son fils avait pour lui. Simplement il était un étranger qui l’importunait.

— Non, répondit-il. Je suis ici simplement en passant, car je me rends voir des amis à Boston. Je profitais du voisinage pour te dire bonjour.

— Ça, c’est une visite qui est courte. Je ne vous retiendrai pas, ajouta-t-il, car ma femme est malade depuis un mois à l’hôpital et cela me tracasse. En plus, je mange mal. Je n’ai qu’une jeune fille de seize ans pour tenir ma maison et préparer mes repas, mais elle cuisine si mal que