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LE DESTIN DES HOMMES

L’explication était véridique mais nullement de nature à calmer le ressentiment de l’épouse à l’égard de son mari et du boxeur.

L’hiver était venu depuis quelque temps et il faisait un froid vif. Un dimanche, à l’heure de la grand’messe, la mère et la fille affublées de deux vieux manteaux miteux, misérables, démodés et paraissant sortir des caisses de l’Armée du Salut, ouvraient la porte pour sortir lorsque M. Lafleur les aperçut.

— Allez-vous à quelque mascarade ? demanda-t-il en les voyant passer.

— Nous allons à l’église, répondit d’un ton de feinte douceur et avec un air de victime résignée Mme Lafleur. Tu achètes un costume pour la traînée de ton grand paresseux et ta femme et ta fille doivent se contenter de leurs antiques défroques. Ah ! elle est bien chanceuse, celle-là.

Et, drapées dans leurs friperies et se donnant l’air misère, elles franchirent la porte. M. Lafleur allait répondre mais il se tut. À quoi bon entamer de vaines et blessantes discussions ? Mais il aurait sa revanche un jour. Les deux femmes sortirent et M. Lafleur resta seul dans la maison.

« Ah ! ce n’est pas une vie, se dit-il à lui-même. Toujours houspillé, taquiné, agacé par de continuels reproches. »

M. Lafleur était à prendre son déjeuner et il écoutait les nouvelles que débitait l’appareil de radio.

« Température : quinze degrés sous zéro », lut l’annonceur.

— Quinze degrés, répéta Mme Lafleur, mais je crois bien que ce ne sera pas cette année que nous irons passer l’hiver en Floride, ajouta-t-elle d’un ton ironique.