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LE DESTIN DES HOMMES

Brisebois, un parfait étranger pour lui, il l’attaqua furieusement et sans ménagement aucun. En entrant dans le rond le pauvre mineur avait subitement et complètement oublié toutes les leçons de son instructeur et de M. Lafleur. Il avait à ce moment la tête absolument vide ; il encaissait une grêle de coups. Dans son coin, M. Lafleur lui criait des instructions, mais Brisebois paraissait sourd, semblait ne rien comprendre. Il avait la figure fendue, crachait le sang à pleine bouche et présentait un spectacle très pénible. La foule était stupéfaite et indignée de voir Stanley agir de la sorte et massacrer pour ainsi dire l’homme sans expérience qu’était Brisebois et il fut fortement hué et conspué. Devant les rudes attaques de l’Américain, le mineur était absolument perdu, comme un naufragé en mer, loin de tout navire et de toute chaloupe qui, la mort dans l’âme, est ballotté par les flots en furie et ne sait à quoi se raccrocher. Tout ce qu’il pouvait faire, et c’était là son seul moyen de défense, c’était de faire de continuelles prises de corps, d’emprisonner son adversaire dans ses bras. L’arbitre intervenait et, après d’épuisants efforts, il parvenait à séparer les deux hommes, mais Brisebois empoignait de nouveau la brute qui lui faisait face. Le mineur réussit à se rendre à la fin des trois assauts convenus, mais tout sanglant, les lèvres tuméfiées, un œil presque bouché, il offrait une apparence pitoyable.

La Voix du Peuple et les autres journaux dénoncèrent vigoureusement le lendemain la conduite de Stanley, qui n’avait pas agi en sportsman et qui, au lieu de s’en tenir à une exhibition, tel que stipulé au contrat, avait eu recours à toute sa science et à tous ses moyens pour démolir un homme qui faisait ses débuts et qui avait peut-être compromis à tout jamais son avenir comme boxeur. Mais l’Américain se moquait bien des journaux et du public