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LE DESTIN DES HOMMES

— Elle est bonne, madame, votre saucisse.

— C’est au fabricant que vous devriez dire cela, répondit-elle à la sixième fois qu’il répétait cette formule.

Lorsque les trois livres de saucisse furent disparues du plat, Brisebois recula un peu sa chaise et, sortant un cure-dent de sa poche de gilet, se mit à se travailler la bouche. Voyant qu’on le regardait curieusement, il se leva et sortit, prétextant qu’il devait déménager sa malle.

— Bien, qu’est-ce que vous en dites ? interrogea M. Lafleur après le départ de son protégé.

— Je dis que c’est un champion, un champion mangeur de saucisse, déclara Mme Lafleur.

— Oui, il n’y a pas à dire, devant un plat de saucisse, il est bien brave, énonça le fils.

Le contrat avec Brisebois signé, le mineur présenté à sa famille, l’entente conclue avec Biron, M. Lafleur s’occupa de placer son protégé dans un gymnase. Il s’adressa à un professeur renommé, compétent, qui avait fait ses preuves. Ce dernier, en considération de la publicité qu’il était pour recevoir, fit à M. Lafleur des conditions toutes spéciales. Ce dernier et le journaliste Biron assistèrent à la première pratique du mineur. Le professeur avait préparé pour son élève tout un programme d’exercices se terminant par la douche traditionnelle. Viendraient ensuite, en plus, les exercices sur le punching bag.

— Lancez notre homme et faites de votre mieux, recommanda M. Lafleur au journaliste. Biron connaissait son affaire et, stimulé par l’appât de la grosse somme si Brisebois réussissait, il publia le lendemain un article ébouriffant, annonçant la découverte par M. Lafleur d’un colosse qui, d’après les apparences, pouvait devenir un champion boxeur. Une photographie de Brisebois et ses remarquables mensurations accompagnaient la nouvelle.