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LE DESTIN DES HOMMES

ter. Il trouvait cela plus facile et plus simple que de labourer, de semer et de récolter. Toute la bonne terre, il l’a ainsi vendue par morceaux et il ne lui est resté qu’un sol qui ne produisait rien de bon. À ce métier, il a mangé son bien. Heureusement pour elle, sa femme est morte juste avant qu’il soit forcé de vendre. Il avait une fille. On m’a dit qu’elle travaille dans une filature de coton. Lui, il est parti aux États il n’y a pas loin de trente ans. La semaine passée, on a appris qu’il était mort à l’hospice, à Kalamazoo, dans le Michigan. Justement, le curé l’a recommandé aux prières dimanche. Paraît qu’il était ben pauvre et qu’il a été trois ans paralysé. Ah ! tu sais, mon vieux Quarante-Sous, la vie n’est pas un pique-nique. Et sur ces amères paroles, Onésime Gendron se tut. Comme pour oublier, il reprit son alêne et son ligneul et se remit à réparer son vieil attelage.

Après avoir dit adieu au père des dix paresseux, Gédéon Quarante-Sous reprit la route. Devant une grange, un homme de cinquante ans environ attelait une paire de chevaux à une moissonneuse. Le voyageur ne le reconnaissait pas.

— Est-ce que ce n’est plus Isidore Martel qui demeure ici ? demanda-t-il en s’approchant.

— Ah ! non. Martel ne cultive plus la terre, il est dans la terre.

— Vous ne m’dites pas qu’il est mort ?

— Oui, ce pauvre Isidore est parti il y a déjà neuf ans et c’est moi qui ai acheté sa ferme. Ah, il a eu ben du malheur ! Il avait juste un garçon, Onésime, auquel il avait donné sa terre. Tout marchait très bien, les affaires étaient prospères et l’avenir s’annonçait favorablement mais voilà que le fils tombe malade. C’était la fièvre typhoïde. Pendant des semaines, il resta dans le délire. Tou-