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LE DESTIN DES HOMMES

ce que tu veux, j’peux pas tout faire seul à mon âge. Je peux te le dire, j’ai ben travaillé et j’ai pas eu d’agrément, pantoute. J’ai dix garçons, dix paresseux, dix sans-cœur. J’ai aussi deux filles. Elles sont mariées et vivent leur vie de leur côté. Moi, je suis seul ici avec ma femme qui est malade. Les garçons ne veulent pas travailler. Au printemps, ils partent, ils disparaissent. Alors, je dois faire mes travaux moi-même ou payer des étrangers. Si par hasard, l’un des gars vient passer quelque temps ici, il faut que je lui verse un salaire pour le décider à prendre la faux ou la fourche et à m’aider. Mais, à la fin de l’automne, ils reviennent tous pour se faire hiverner. Et tu penses peut-être qu’ils me donnent un coup de main pour le train. Tu te trompes. Ils ne rentrent même pas une brassée de bois. Après le souper, ils partent pour s’en aller veiller, danser, s’amuser. Ils reviennent à deux ou trois heures du matin et ensuite, ils dorment jusqu’au moment du dîner. Puis, après avoir mangé plein leur ventre, ils fument, jouent aux cartes en attendant le souper, après quoi, ils repartent de nouveau. Quelquefois, ils me demandent de l’argent. Non, je te dis, je n’ai pas d’agrément, pas une miette. Pis, ajouta-t-il d’un ton infiniment triste, je me demande ce qu’ils feront lorsque je serai parti. Ça ne sert à rien de se plaindre, reprit-il après une pause. Les autres n’ont pas plus de chance. Tiens, tu te rappelles, Albéric Masson, le deuxième voisin d’ici. Ce n’était pas un travaillant lui non plus. Il aimait mieux dormir que de se lever le matin pour s’en aller à sa besogne. Et sans dessein, pas de jugement. Il avait une bonne petite terre, mais il l’a vendue par pelletées. Oui, c’était un sol extra pour le gazon qu’il avait. Alors, il le coupait par morceaux et le vendait aux gens du village qui se faisaient de belles pelouses devant leurs maisons avec les charges de tombereau qu’il allait leur por-