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LE DESTIN DES HOMMES

1er décembre

Une aventure tragi-comique est arrivée ces jours-ci à mon voisin de classe. Octave Poirier. Le professeur nous avait donné comme devoir une composition française. Il n’avait pas imposé un sujet spécifique. « Racontez », avait-il dit, « une anecdote, un incident, montrant qu’une bonne action reçoit toujours sa récompense ». Ça, chacun des élèves savait bien que ce n’est pas vrai, mais néanmoins, il fallait s’exécuter. Mais, Poirier, lui, a voulu faire à sa tête et, contrairement à tous les autres, il a narré une histoire vraie de sa façon. « Un samedi après-midi », avait-il écrit, « alors que nous n’avions pas de classe, ma mère m’avait envoyé au marché faire quelques commissions. Comme je sortais de là pour retourner à la maison, je vois à quelques pas en avant, un particulier qui avait fait certains achats en même temps que moi. C’était un gros, court, plutôt lourd. Il met la main dans sa poche de pantalon et, en la retirant, laisse par mégarde tomber un papier. Je le ramasse. Un beau dix piastres ! Je rejoins le monsieur. — « Avez-vous perdu quelque chose ? » que je lui demande. Lui, il me regarde durement. — « Non », répond-il sèchement, en homme qui n’aime pas à se faire importuner. — « Regardez tout de même », dis-je. Il regarde d’abord ses colis, puis fouille dans sa poche. — « J’ai perdu un dix piastres, » déclare-t-il d’un air un peu confus. — « Le voici », dis-je en tendant fièrement le billet que j’avais cueilli sur le pavé. — « Merci, » fit-il, « tu es un honnête garçon ». J’étais glorieux, j’avais fait une bonne action. Mais le soir, lorsque je raconte la chose à mon père, celui-ci furieux de la bêtise de son fils me sacre une ronde et déclare : « Imbécile, tu seras pauvre toute ta vie. » — « Poirier, vous vous pensez bien fin, bien original », fait le professeur en remettant les