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LE DESTIN DES HOMMES

Il y avait maintenant cinq ans que les trois garçons étaient entrés dans la maison, qu’ils formaient la famille qu’elle n’avait pas eue elle-même mais que la Providence lui avait envoyée. Simon, l’aîné avait déjà quinze ans, André, quatorze, et Norbert, le plus jeune, treize. La vie était belle.

Un matin de février, après le départ de son mari et des trois enfants qui fréquentaient le collège, Mme  Lemay après avoir lavé sa vaisselle suivant son habitude, commença à faire les lits dans les chambres. Le sien tout d’abord, puis celui de Simon qui couchait seul tandis que ses deux frères dormaient dans une pièce contiguë. Comme elle soulevait les oreillers de Simon pour les battre et les secouer, un cahier à couverture en toile cirée noire tomba entr’ouvert sur le tapis. Elle le ramassa et, comme elle n’était pas curieuse, elle l’aurait refermé et remis où il était auparavant si, sur la première ligne, en haut de la page, elle n’avait lu son nom.

…maman n’est pas coquette pour deux sous. Ça me fait de la peine de voir sa mise négligée. Lorsque j’arrive du collège à la fin de l’après-midi et que je la vois avec la vieille jupe, les savates fanées et les bas descendus sur les jambes, comme le matin à mon départ pour la classe, cela m’afflige. Moi, lorsque j’aurai une femme, j’insisterai pour qu’elle soigne sa toilette. C’est curieux, elle est tout le contraire de papa qui est si distingué, si élégant dans ses vêtements choisis avec tant de goût. Je m’étonne qu’il ne dise rien à maman, qu’il ne lui fasse pas quelques remarques.

3 novembre

J’ai étrenné dimanche un beau complet, plutôt dispendieux il me semble, pour un jeune garçon de mon âge. À