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LE DESTIN DES HOMMES

À quelques jours de là, le père Boyer étant allé acheter des provisions au marché rencontra son ami Masson, qui lui parut bien découragé, bien abattu. Ça n’allait pas chez lui, déclara-t-il lorsque l’autre lui eut demandé de ses nouvelles. Depuis quinze jours, sa femme était paralysée, immobile dans son lit. Et son fils, le voiturier, avait fait de mauvaises affaires, était en faillite. « Ah ! j’ai bien de la malchance », se lamenta le vieux en s’éloignant.

Une semaine plus tard, Laurence, qui avait écrit les lettres des époux Boyer après le mariage de Flore, traversa la rue et vint trouver la vieille femme. Éplorée, elle avait besoin de se confier, car elle était bien désappointée. De bonne source, elle avait été informée que le Dr Lantier était revenu d’Europe, mais au lieu de s’établir dans son village, de pratiquer là où il était connu de tout le monde, il avait décidé d’ouvrir un bureau à la ville. Là, il donnerait simplement des consultations et ferait des visites. Pas de remèdes chez lui, pas de pharmacie. Tout simplement, il remettrait une prescription au patient qui la ferait remplir quelque part. Et alors toutes les fioles qu’elle avait réunies en quatre ans — plus de mille — bien nettes, bien propres, étaient parfaitement inutiles. La pauvre Laurence paraissait bien déçue. Le jeune médecin l’avait oubliée. Il ne se souvenait plus de sa promenade en canot.

— Sûrement qu’elle va rester vieille fille, commenta la mère Boyer après son départ.

Depuis quelque temps, la vieille avait une idée en tête. Un matin, elle prit dans sa commode la correspondance de sœur Sainte-Perpétue et elle s’en fut trouver le curé. Alors elle lui expliqua qu’elle avait pensé à faire imprimer les lettres de sa fille pour en faire un livre. Franchement, elles étaient si belles, disait-elle, que ce serait malheureux qu’elles fussent perdues. Ce volume pourrait être