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LE DESTIN DES HOMMES

L’ivrogne était d’autant plus furieux qu’il avait encore soif. Alors il se rendait à la maison pour obtenir une piastre ou deux afin de pouvoir apaiser ce besoin effréné d’alcool qui était en lui. Les braves villageois rentrant chez eux après l’office divin étaient loin d’être édifiés du spectacle que leur donnait le jeune homme. Lorsque les parents l’aperçurent, la consternation fut grande. On le connaissait trop et l’on redoutait la scène qui allait se produire. De plus, l’on ressentait l’humiliation, la honte que la conduite du mauvais fils faisait rejaillir sur la famille. Tout de suite, la mère voulant prévenir un drame possible, tenta de le conduire à sa chambre pour qu’il se repose et cuve sa boisson, mais ce n’était pas cela qu’il voulait. La bouche pâteuse, il s’adressa à son père, lui demandant de l’argent comme il avait fait tant de fois. Indigné, le vieux refusait, mais consumé par une soif impérieuse, Omer devint violent, brutal : « Donnez-moi de l’argent ou je vous étouffe », fit-il d’une voix menaçante, pendant que sa figure se contractait et grimaçait de façon hideuse. « Non », refusa carrément le père. « Vas te coucher. Tu as peine à te tenir debout. Tu as scandalisé les habitants du village et tu devrais avoir honte, tu devrais te cacher ». Devant ce refus, l’ivrogne se jeta sur son père, le saisissant d’une main à la gorge et le frappant de l’autre à la figure. Terrifiée, meurtrie dans tout son être par le geste de ce fils indigne, la mère affolée se mit à pleurer, à se lamenter et à appeler au secours. Deux passants intervinrent, saisirent l’ivrogne et le poussèrent de force dans sa chambre. Puis l’un d’eux courut chercher le constable du village qui, sur la plainte du père, le conduisit dans l’unique cellule, à l’arrière du marché public. Le lendemain le magistrat le condamnait à six mois de prison.