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LE DESTIN DES HOMMES

yeux gris, au nez retroussé, avait maintenant vingt-cinq ans. Simplement parce que le jeune médecin lui avait fait faire un après-midi qu’il s’ennuyait un tour de canot, elle s’était mis dans l’imagination qu’il l’épouserait à son retour au pays. Patiemment, elle l’attendait en collectionnant des fioles. Et depuis le mariage de Flore c’était elle qui écrivait les lettres des deux vieux à leur fils et à leur fille.

Les lettres de sœur Sainte-Perpétue arrivaient à la cadence d’une par mois. Ce n’est pas souvent pour des vieux parents qui pensent constamment à leur fille partie si loin. Il y avait près de quatre ans qu’elle était à la Nouvelle-Orléans, qu’elle se dévouait aux malades qui affluaient à son hôpital. Avec une bonté et une patience sans bornes, avec une charité inlassable, elle leur prodiguait ses soins pour les ramener à la santé ou à les aider à mourir. Mais ce labeur incessant, les longues veillées, le climat insalubre, minèrent vite sa frêle constitution. Elle était épuisée, allait s’affaiblissant davantage chaque semaine, chaque heure pour ainsi dire. Un jour vint où elle fut forcée de prendre le lit. Même, elle n’eut plus la force d’écrire. Alors les vieux parents qui achevaient tristement leur vie dans leur petit village furent informés que leur fille était malade. On espérait que ce n’était que passager, mais c’était là un leurre. Sœur Sainte-Perpétue dont le seul souci en cette vie avait été de s’assurer son salut et de gagner le bonheur éternel s’éteignit après quatre ans et deux mois de vie religieuse. Ce fut un samedi, le dernier samedi de septembre, que les deux vieux reçurent de la Mère Supérieure de l’hôpital une lettre leur annonçant le décès édifiant de leur fille. Elle les assurait de sa profonde sympathie et ajoutait qu’elle et ses sœurs penseraient à eux dans leurs prières.