Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
LE DESTIN DES HOMMES

— Marier un veuf avec des enfants, c’est pas avantageux pour une fille qui a son père et sa mère, déclarait la vieille Boyer.

— Ah ! vous êtes chanceuse, vous. Votre fille ne vous cause pas d’inquiétudes. Elle a choisi ce qu’il y avait de mieux à faire. Puis, elle prie pour vous.

Mais un mois plus tard, le mariage se faisait. Flore épousait son veuf. Elle était casée.

Dans la maison des époux Boyer, c’était toujours la petite vie monotone.

De temps à autre, le samedi ou le dimanche, ils entendaient des éclats de voix, des disputes, venant d’à côté. C’était l’ivrogne qui, après avoir bu son salaire, réclamait encore de l’argent à son père pour s’acheter du whiskey.

Puis, certains jours, la maman Gratton, lorsqu’elle venait chercher de l’eau au puits, s’attardait quelques minutes pour faire entendre ses plaintes à sa voisine. Ah ! oui, sa fille Flore avait été bien mal inspirée en épousant son veuf avec cinq enfants. Dans sa maison, elle était moins qu’une servante, car une servante reçoit un salaire pour sa peine. Flore, elle, travaillait et n’obtenait jamais un sou. Elle portait le linge qu’elle avait avant de se marier. Même elle avait l’humiliation d’acheter à crédit les aliments dont elle avait besoin pour sa maisonnée. Son mari était le plus mesquin, le plus sans-cœur qu’on pouvait imaginer. « Elle est bien malheureuse », déclarait la vieille mère, « mais c’est par sa faute, car j’ai tout fait pour l’empêcher de marier ce vieux veuf malcommode. Ah ! on en a des afflictions dans la vie ». Et elle s’en allait chez elle avec sa chaudière d’eau. Deux mois plus tard, elle annonçait que sa fille avait donné naissance à un garçon. Cela faisait six enfants dans la maison. Pauvre Flore ! Et quelle serait sa destinée à ce petit ?