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LE DESTIN DES HOMMES

signification, comme le mendiant affamé qui hume avec joie le fumet du bol de soupe qu’on lui a servi et qui goûte, savoure et retourne dans sa bouche chaque cuillerée qu’il prend. Après les avoir lues, ils y pensaient longuement, ils pensaient aux mots écrits, cherchaient à deviner des choses. Ils y pensaient en mangeant, assis, silencieux, sur leurs chaises. Ils y pensaient encore le soir en se couchant. On aurait dit qu’ils ramassaient toutes les miettes de ce festin d’affection qui leur avait été servi. C’était de la vie qui entrait en eux, des choses qui se logeaient dans leurs vieilles têtes grises.

Puis, comme la substance de la lettre était épuisée pour ainsi dire, comme l’huile dans la lampe, il arrivait une autre lettre qu’ils ruminaient longuement comme la précédente. Certes, leur fille et leur fils étaient bien loin, peut-être ne les reverraient-ils jamais, mais tout de même ils recevaient de leurs nouvelles. Leurs enfants les associaient à leur vie.

Sœur Sainte-Perpétue, dans son hôpital, parlait souvent de ses malades. Celui-là, qui était revenu à la santé après avoir vu la mort de près, ce n’était pas les soins du médecin, du chirurgien, des infirmières qui l’avaient sauvé, c’était le bon Dieu. C’était Lui qui l’avait guéri, bien qu’il fût un pécheur, mais c’était pour lui donner la chance de revenir à Lui. Celle-là, qui était morte en dépit de tous les efforts faits pour la conserver aux siens et qui avait fait une fin si édifiante, c’était que le bon Dieu voulait l’avoir avec Lui ; ce jeune enfant, la joie de ses parents, ravi à leur affection, c’était que le bon Dieu voulait avoir un ange de plus au ciel. Un jour, elle parlait d’une mère de famille, la mère de neuf enfants, qu’une maladie soudaine avait envoyée au cimetière alors que tous les siens avaient tant besoin d’elle, c’est que le bon Dieu avait cru