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LE DESTIN DES HOMMES

Quinze jours plus tard, Valentine allait demander son admission dans le cloître et, une semaine plus tard, elle y entrait comme novice.

On la nommait maintenant sœur Sainte-Perpétue.

Elle laissait comme souvenir une épaisse pile de gros volumes à couvertures rouges et à tranches dorées sur une petite table dans le salon de la modeste maison de ses parents, les livres qu’elle avait obtenus comme prix lors de ses années de couvent.

— Ben, j’sus contente pour vous, mame Boyer, déclara la voisine lorsqu’elle eut appris que Valentine prenait le voile. Vous savez, il y a tant de femmes malheureuses. Elle, elle traversera la vie sans grandes peines, et, plus tard, elle recevra la récompense de ses sacrifices.

— Ah ! vous avez raison, mais c’est dur tout de même de voir partir la seule fille que vous avez, répondait la mère Boyer en s’épongeant les yeux avec son tablier.

Pendant ce temps, Hector continuait son commerce de foin et de pommes de terre. Ses profits étaient très satisfaisants.

Le père Boyer, lui, fumait toujours la pipe, sa chaise adossée au mur de la maison ou dans sa cuisine. Il tirait des bouffées en pensant à son fils Adélard qui, s’il avait vécu, aurait hérité de la terre paternelle, une terre qui, pendant soixante-dix ans, avait appartenu à deux générations de Boyer : Anthime Boyer, son père, et lui-même. Et il se disait que si son fils n’avait pas été emporté si jeune, le champ aurait probablement été plus de cent ans dans la même famille. Ça c’est beau, une terre qui passe de père en fils, une terre que l’on a cultivée avec amour et que l’on transmet avec toutes sortes de souhaits et d’espoirs au garçon que l’on a élevé, formé, et qui a, lui aussi, le culte du sol.