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LE DESTIN DES HOMMES

Pendant que Hector se livrait à son commerce de foin et de pommes de terre, que le vieux Boyer fumait sa pipe dans sa cour ou dans sa cuisine, que sa femme jasait avec la maman Gratton, Valentine, qui avait toujours été bien sage, menait une vie retirée, effacée, très tranquille. Jamais elle ne sortait, ne cherchait à rencontrer des jeunes gens.

— Tu devrais essayer de faire des connaissances, lui disait parfois sa mère. Tu vas à l’église, mais les garçons n’iront pas te chercher là. Fais-toi des amies et elles te présenteront leurs frères, leurs cousins.

— Maman, je ne crois pas que je suis faite pour rester dans le monde, répondait Valentine.

— Tu ne me dis pas que tu voudrais te faire sœur ? demandait sa mère.

— Je crois bien que c’est ma vocation, déclarait la fille.

Et le temps passait.

Valentine fit une retraite, consulta son confesseur, et annonça un soir qu’elle avait décidé de se faire religieuse.

— Je veux être certaine de mon salut, dit-elle.

— Tu ne regrettes pas ce que la vie dans le monde pourrait te donner ? interrogea la mère.

— Non, aucunement. Vous, vous avez eu une existence passable, mais regardez les autres. Voyez notre voisine avec son fils ivrogne. Ne croyez-vous pas qu’elle est infiniment malheureuse ? Puis, vous savez, je veux être sûre de gagner le ciel et je crois que c’est en étant religieuse que j’ai le plus de chances de le mériter.

— Si tu es appelée à être religieuse, ma fille, ce n’est pas moi qui t’en empêcherai. Ça me fera de la peine de te voir partir, mais je saurai que tu es heureuse et cela me consolera.