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LE DESTIN DES HOMMES

femme du charpentier Gratton, qui n’avaient que très peu de besogne à faire, étaient vite devenues amies. Et chacune sur son terrain, elles causaient dans l’encadrement de la porte et se racontaient leur histoire. La mère Boyer, des larmes dans la voix, avait narré la mort subite de son fils aîné, puis la femme du charpentier avait fait des confidences, des confidences pénibles. Son fils à elle, Omer, était un ivrogne. Lui aussi était charpentier-menuisier comme son père, et ce dernier l’employait dans les travaux qu’il entreprenait, mais ce n’était pas un ouvrier régulier, un ouvrier fiable, sur lequel on pouvait compter. Aussitôt qu’il avait reçu son salaire, il courait le boire à l’hôtel. Souvent, il rentrait en triste condition et, comme il avait l’ivresse mauvaise, il engendrait chicane à son père, l’insultait, l’injuriait, menaçait de le battre. La mère et la fille s’interposaient alors, tâchant de calmer l’ivrogne furieux, mais comme il avait dépensé tout son argent, Omer en réclamait au vieux. Il avait bu et il avait besoin de boire encore pour se remettre. Parfois, dans le passé, il y avait eu des scènes violentes, très pénibles pour la famille. La maman Gratton racontait ces choses à sa voisine en soupirant fortement, la voix entrecoupée, car elle avait le cœur gros en rappelant ces incidents disgracieux.

N’ayant plus aucune occupation, le père Boyer fumait la pipe, l’hiver dans sa cuisine, l’été, sa chaise adossée à sa maison dans la cour. Comme perspective, il y avait, à côté de la clôture, une cabane en planches brutes où l’on satisfaisait aux besoins de la nature et, douze pieds plus loin, le puits d’où l’on tirait de l’eau au moyen d’un crochet et d’un seau.

Quant à Hector, peu après la vente de la terre, il avait dit à son père : « Donnez-moi deux mille piastres