Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
LE DESTIN DES HOMMES

racher sa vie par son labeur, c’est étonnant comme les années passent vite et comme la vieillesse arrive rapidement. Ainsi pour Gédéon. Maintenant, il avait les cheveux gris. Sa femme était morte et il demeurait avec François, son aîné, marié depuis quatre ans. Comme avait fait son père, Gédéon s’était donné à son fils. Or, un jour, François annonça : C’te terre là, je vas la vendre. On travaille à se faire mourir et ça ne produit pas, ça ne rend pas. Moé, j’sus fatigué de labourer, de semer pour ne rien récolter. L’autre jour, au village, j’ai rencontré des gens qui m’ont dit que, par chez eux, le grain pousse à pleine charrette. J’vas aller voir ça. En entendant son fils parler ainsi, le vieux Gédéon reçut un coup au cœur. Une semaine plus tard, François avait vendu sa ferme et signé un contrat avec un cultivateur de là-bas qui lui cédait les cent arpents qu’il possédait et qui, lui aussi, s’en allait ailleurs. Force fut donc au vieux Gédéon de partir et de suivre son fils. Ah ! c’est bien triste de vieillir, de ne plus commander, d’être obligé de se plier à la volonté des autres. Il était chez son garçon et chez sa bru et, du moment qu’il avait sa place à table pour manger et sa paillasse pour dormir, il n’avait rien à dire. Mais il mangeait sans appétit et il dormait mal dans cette maison à laquelle il n’était pas habitué. Il se rongeait les sangs. En plus, les infirmités qui arrivent avec les ans ne l’avaient pas épargné. Il avait une hernie, un chancre à la joue et une plaie à la fesse. Et avec ça, sa bru le traitait au bout de la fourche. Tout ça, c’est bien triste après avoir tant travaillé pour laisser du bien à sa famille. Alors, comme autrefois son père, il était malheureux et il s’ennuyait dans ce pays, au milieu de tous ces étrangers. Amèrement, il regrettait la terre où il avait vécu sa vie et plus encore, le champ paternel qu’il avait vendu. Il souhaitait le revoir