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XXIV.



CHARLOT, sur ses économies, avait prêté deux cents piastres à un fermier du rang du Quatre, avec intérêts payables à la Saint-Michel. Or, comme le samedi après cette fête, il n’avait pas encore reçu de nouvelles de l’emprunteur non plus que de son argent, il se résolut à aller voir son homme dès le lendemain, avec sa sœur, et à lui réclamer son dû. Les chemins étaient encore beaux et ce serait, supposait-il, une promenade plutôt agréable. Il songea à inviter Bagon le Coupeur. Depuis des années, ce dernier manifestait le désir de voir l’endroit où il était né, où son père et sa mère qu’il n’avait jamais connus, étaient morts l’année du grand choléra. C’était au rang du Trois, sur le parcours à suivre. Bagon accepta l’offre avec empressement. Il fut convenu que l’on partirait le dimanche après-midi. Le Coupeur arriva comme les Deschamps achevaient de prendre le dîner au pain sur et amer marqué d’une croix. On fut vite prêt. Comme le temps était incertain et qu’il pouvait pleuvoir, Charlot crut plus prudent de laisser son boghei sous la remise et de prendre la charrette. Il préféra en outre, vu que son cheval et celui du père avaient labouré la veille, et qu’il en aurait encore besoin le lendemain, d’atteler le poulain, suffisamment dompté. Charlot et Bagon s’installèrent sur le siège de devant et la Scouine sur celui de derrière. Le poulain partit au grand trot, mais au bout de trois arpents, il modéra son allure, et bientôt, Charlot fut obligé de l’aiguillon-