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LA SCOUINE

Charlot. Ils sont là quatre garçons, et il n’y en a pas un seul qui travaille. Il y a un puits et une pompe devant la porte, mais on boit plus de whiskey que d’eau.

La Scouine trouva là tout de suite un prétexte pour aller voir le vicaire le dimanche suivant. Elle pourrait lui dénoncer ces désordres.

À ce moment, un couple en boghei croisa la longue théorie de voitures qui s’en revenaient du concours agricole. L’homme, une jeunesse de vingt ans, absolument ivre, était courbé en deux, la tête enfouie entre les genoux de sa compagne.

— Le cochon ! s’exclama la Scouine, qui souhaita d’être rendue au dimanche pour entretenir le vicaire de cet autre scandale.

À un carrefour, les voitures se séparèrent, prirent des routes différentes, se distancèrent. Les chevaux de Frem Quarante-Sous et de Charlot conservèrent seuls leur même allure. Ils allaient sur la route tranquille de leur petit trot uniforme des jours de dimanche. L’on traversa la Pointe aux Puces, le rang des Voleurs, puis celui des Picotés. C’était là une région de tourbe. Les roues enfonçaient dans la terre brune et les chevaux se mirent au pas. On respirait une odeur âcre de roussi, de brûlé. Un silence et une tristesse sans nom planaient sur cette campagne. Tout attestait la pauvreté, une pauvreté affreuse dont on ne saurait se faire une idée. C’était un dicton populaire que les Picotés avaient plus d’hypothèques que de récoltes sur leurs terres.

La route était bordée par un champ d’avoine clairsemée, à tige rouillée, qui ne pouvait être utilisée que comme fourrage. Les épis ne contenaient que de la balle, et la paille d’un demi-arpent aurait à