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LA SCOUINE

sition. La Scouine était ravie et souriait béatement sans dire un mot.

Le beau temps d’automne remplissait de bien-être.

Près des maisons, des chaudières de ferblanc, coiffant les pieux des clôtures, luisaient au soleil. Disposés en rang sur les cadres des fenêtres, des tomates et des concombres achevaient de mûrir.

Dans les chaumes gris, sur la terre pelée, des troupeaux de vaches gravement ruminaient…

N’ayant rien à dire, Charlot et la Scouine faisaient des milles en silence. Parfois, l’un d’eux jetait une remarque à laquelle l’autre répondait d’un mot ou d’un signe de tête.

De temps à autre, et sans s’en rendre compte, Charlot de sa voix aiguë, lançait à son cheval un commandement inintelligible.

Les deux promeneurs arrivèrent ainsi à une maison en pierre bleue, prétentieuse et neuve, laide et de mauvais goût. Dans la paroisse, on la désignait sous le nom de Château des Bourdon, et ses propriétaires en étaient très fiers. C’étaient des fermiers qui avaient durement travaillé. La femme Bourdon avait eu une ambition en sa vie : avoir la plus belle maison du comté. Pendant vingt ans, elle s’était mise à la tâche avec ses enfants, cultivant de grandes étendues de légumes, que deux fois la semaine, l’été et l’automne, elle allait vendre à la ville. Elle et sa famille se privaient de tout, économisant chaque sou. La brave femme avait travaillé nuit et jour. Pendant dix ans, elle était allée à la messe le dimanche, avec la même robe d’alpaga noir. Avec l’argent péniblement amassé, elle avait fait construire une maison qui était la réalisation de son