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LA SCOUINE

les mouches piquaient avec un acharnement féroce.

Le midi ardent brûlait le sang.

De tous côtés, dans les champs, se dressait la masse des charretées de foin, et la stature du chargeur découpait sur le ciel bleu sa silhouette noire.

Bagon qui, depuis quelques minutes, prononçait des paroles inintelligibles, planta sa fourche dans le sol, et s’arrêta derrière une veillotte. Du haut de son voyage, l’Irlandaise l’aperçut, jouissant solitairement. Elle lui cria des obscénités, mais Bagon demeura sourd, tout secoué par son spasme.

Charlot et l’Irlandaise riaient très haut, et commentaient la chose avec des mots ignobles qui les troublaient eux-mêmes.

Il plut le lendemain, et l’Irlandaise, ayant reçu un peu d’argent, partit pour aller chercher un flacon de genièvre. Elle ne rentra qu’à la nuit noire, à moitié ivre.

Depuis le commencement des travaux, Charlot couchait sur le foin, dans la grange. Il dormait ce soir-là depuis un temps inappréciable, lorsqu’il fut soudain éveillé. C’était l’Irlandaise qui montait péniblement, en geignant, l’échelle conduisant sur la tasserie. Charlot crut qu’elle ne parviendrait jamais à arriver en haut. À un énergique juron, il comprit qu’elle avait manqué un échelon. Il se demanda si elle n’allait pas échapper prise et tomber dans la batterie. Après beaucoup d’efforts, l’Irlandaise mit finalement le pied sur le carré. D’une voix rauque et avinée, elle se mit à appeler :

— Charlot ! Charlot !

— Quoi ? demanda celui-ci.

Se dirigeant dans la direction de la voix, les jambes embarrassées dans le foin et trébuchant à