XIX.
’ÉTAIT jour d’élections. Les Bleus et les Rouges
se disputaient le pouvoir et la population
était divisée en deux camps absolument tranchés.
Tous les anglais sans exception étaient conservateurs,
tandis que la grande majorité des canadiens-français
était libérale. Déjà, il y avait eu des
bagarres aux assemblées politiques et l’on appréhendait
des troubles sérieux autour des bureaux de
votation. Des animosités de race fermentaient,
menaçaient d’éclater. Cependant, comme la Saint-Michel,
date des paiements approchait, les fermiers
n’oubliaient pas les affaires. Certes, ils iraient
voter, mais ils profiteraient de l’occasion pour vendre
un voyage de grain, d’autant plus que Robillard
avait entrepris de charger une barge d’orge et qu’il
la payait quatre chelins le minot.
Dès le matin, à bonne heure, ce fut sur toutes les routes conduisant au chef-lieu du comté une longue procession de wagons remplis de sacs de toile, bien propres, bien blancs, cordés avec soin. Chacun allait vendre son orge.
Les anglais tenaient évidemment à voter tôt, car dès huit heures, ils se rendaient déjà au village. Deschamps qui comptait avoir quinze cents minots de grain cet automne-là, n’avait pu terminer son battage la veille comme il l’espérait. Il tenait absolument à le finir cependant, et cette besogne lui prit une partie de l’avant-midi. Après le dîner, il partit