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LA SCOUINE

tissait, fermait peu à peu ses paupières, le poussait invinciblement au sommeil.

Le silence cependant, n’était pas toujours le même, il semblait pour ainsi dire, mobile, changeant. En d’infinitésimales parcelles de secondes il devenait autre, différent. Par moments, il était celui d’une nef d’église, après vêpres, quand les dévotes s’en sont allées de leur pas lent et capitonné. D’autres fois, il était celui qui règne dans les confessionnaux où dorment les vieux péchés. Parfois encore, c’était le silence aigu, suprême, qui précède les catastrophes, les choses irrémédiables. Soudain aussi, le silence était si intense, qu’il donnait l’impression d’un autre silence, d’un abîme vertigineux, du néant.

Une paix immense remplissait le petit grenier.

Des odeurs diverses, odeur grasse de laine cardée, odeur piquante de cuir, odeur fade de bois poussiéreux, odeur forte qui traîne dans les pièces où ont rôdé les souris, assaillaient sans les émouvoir les narines de Charlot. Les mouches bourdonnantes parmi les défroques, les habits déformés accrochés de tous côtés à des clous, faisaient plus grande la solitude. Elles semblaient laisser dans l’air un sillage ténu comme un fil d’araignée, invisible. Endormants comme des passes d’hypnotiseur étaient ces volettements. Comme derrière le vitrage blême de certaines serres se voient des fleurs rares, étranges, monstrueuses, sur les carreaux salis de l’étroite fenêtre éclairant cette retraite, des mouches géantes, grasses et repues faisaient béatement la sieste au soleil, vivaient dans une douce quiétude.

Inconscient des inéluctables destins en marche, Charlot, les cheveux huileux et luisants mêlés au poil de la peau de buffle, de grosses sueurs lui cou-