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LA SCOUINE

La figure rasée du prêtre, rougie par le froid, donnait l’impression d’un morceau de viande saignante.

— Vous ne m’attendiez donc pas ? demanda-t-il. Vous ne saviez pas que je faisais la visite du jour de l’an ?

— Mais non, répondit Deschamps.

— Vous n’étiez pas à la messe dimanche ?

— Pour sûr que non ; i faisait trop mauvais.

M. Dubuc se frottait les doigts pour les réchauffer. Alors Deschamps suggéra :

— Vous prendrez ben queuchose, m’sieu l’curé ?

Et celui-ci acquiesça.

— Ce n’est pas de refus, dit-il.

La Scouine courut à la cuisine chercher une bouteille et des verres. Deschamps les remplit et les passa à ses visiteurs. Debout autour du crible, les quatre hommes tenaient leur coupe.

— C’est pour vous saluer, dit le prêtre, et il vida la sienne.

Mais avant que les autres eussent eu le temps de boire, le curé s’étouffait, se mettait à tousser, la figure congestionnée.

— Il est fort, votre whiskey, déclara-t-il, lorsqu’il put enfin respirer.

Deschamps regarda son flacon et resta stupéfait.

— Cré malheur, s’exclama-t-il, il est en esprit.

En effet, la Scouine s’était trompé, avait apporté la boisson non baptisée.

— J’ai encore plus de chance que mon vicaire, reprit M. Dubuc. Hier, on lui a fait boire de l’eau de javel.

— Si vous voulez que le curé ne vous garde pas