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XV.



DESCHAMPS criblait son blé. Cette besogne se faisait dans la salle, à l’avant de la maison. Des draps de coton avaient été étendus sur le plancher pour empêcher le grain de pénétrer dans les fentes. Le vieux tournait la manivelle et, par un orifice pratiqué au plafond, le grain tombait du grenier dans la trémie de la machine. Là-haut, Charlot muni d’une pelle comblait le trou qui se creusait au milieu du tas, veillait à ce que le filet coulât régulier, sans interruption. Par moment, lorsqu’il était en avance sur son travail, il s’étendait au bord de l’amoncellement et savourait la sensation d’être entraîné vers l’abîme, de sentir le vide se faire sous sa poitrine. D’autres fois, il laissait son poing reposer inerte à la surface et il le regardait s’enfoncer graduellement, disparaître avec le froment. Aussi, il tenait sa main dans la crevasse, laissait le blé froid lui glisser sur la peau qui devenait sèche et lisse comme une pièce de métal polie par un long frottement, le soc d’une charrue après le premier jour de labour.

Sans arrêt, Deschamps tournait sa manivelle, et la pièce s’emplissait du dur grincement des roues à engrenage, du monotone bourdonnement de l’éventail.

L’on était en janvier, et le froid faisait croître dans les fenêtres toute une étrange et capricieuse flore de glace.

Au dehors, la poudrerie courait par les champs,