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LA SCOUINE

Et, toujours, il était suivi d’un petit chien noir aux yeux d’or qui trottinait aux côtés du chariot, se reposant à son ombre pendant les haltes en rongeant un bout d’ossement.

Au cours de ses tournées, le Taon s’était arrêté un soir chez les Deschamps. Il y avait soupé et passé la nuit. Comme il avait épuisé son maigre assortiment de marchandises et que son gousset était plutôt léger, il avait proposé à Charlot de lui donner son chien en paiement de son repas, de son gîte et d’un antique poêle en fonte qui depuis des années rouillait sous la remise. Vite, le marché avait été conclu. Seulement, lorsque le Taon avait voulu repartir au matin, son butin dans sa chancelante guimbarde, sa rosse n’avait pu avancer et s’était abattue après quelques vains efforts. Furieux, le Taon avait frappé la bête avec acharnement, comme pour lui reprocher l’avoine qu’elle n’avait pas mangée, lui cinglant les oreilles de grands coups de fouet. L’animal n’avait pu se relever, et sentant son impuissance à se remettre debout, les jambes trop lourdes, engourdies, déjà mortes, il avait tourné la tête de côté et subissait les horions comme il aurait essuyé une averse. Il ne bougeait plus. Seuls, ses sabots de derrière battaient spasmodiquement la boue. Et finalement, il avait expiré sous le bâton et les jurements. Mais le Taon ne s’était pas arrêté là. Dans sa rage, il s’était attaqué au cadavre de la pauvre haridelle, lui démolissant les côtes de ses lourdes bottes.

À quelque temps de là, la foudre tomba sur un pommier à côté de l’habitation des Deschamps et le fendit en deux. Une semaine plus tard, Charlot se cassa une jambe en tombant du toit du hangar qu’il