III.
ES Deschamps avaient un grand verger et les
bessonnes apportaient chaque jour à l’école
deux belles grosses pommes rouges qui gonflaient
de leurs formes rondes le sac en toile cirée
accroché au mur. À l’heure du midi, elles les sortaient
avec ostentation et les croquaient bruyamment
de leurs grandes dents malpropres. Des regards
d’envie restaient braqués un long temps sur Paulima
et Caroline. Les deux fameuses au ton vermeil, à
l’apparence si savoureuses, fascinaient tous ces petits
êtres naturellement gourmands. Clarinda et
François Potvin s’arrêtaient de manger leurs éternelles
tartines à la compote de citrouille et, les yeux
luisants, contemplaient les bessonnes, ces chanceuses
qui, chaque jour de l’année pouvaient se régaler de
la sorte.
— Jette pas l’trégnon. Danne-moé lé, quémandait parfois une compagne, succombant à la tentation.
Assez fréquemment, Paulima cédait la moitié de son fruit à une voisine pour corriger son thème, et alors, quelle fête pour celle-ci !
Eugénie Lecomte ne goûtait à une pomme que deux fois par année alors que ses parents allaient rendre visite à sa grand’mère maternelle, qui demeurait à dix lieues de là. Celle-ci n’avait que deux pommiers dans son jardin, mais elle n’oubliait jamais au départ de ses enfants de leur remettre quelques sauvageonnes pour sa filleule.