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LA SCOUINE

la gorge. Il se sent un étranger dans la vieille maison où il a vécu pendant si longtemps. Il a le cœur à l’envers.

Le repas fini, l’on retourne au travail, pour finir la tâche au plus tôt. De nouveau, les marteaux font résonner l’air. Ils luisent au soleil et frappent dru. Vers quatre heures, l’on a posé les derniers rangs de bardeaux et l’on passe maintenant une couche de goudron fondu sur la toiture pour lui assurer plus de durée. Le mélange noir, fumant, répand une odeur plutôt agréable.

Maintenant, la journée est finie.

La fille Bougie est occupée à trancher en gros morceaux son savon sentant la graisse et la potasse qu’elle serrera dans le grenier dès qu’il sera suffisamment sec. Il y a là la provision d’un an. La mère et son fils sont à traire les vaches.

Le fermier et Charlot causent en attendant le souper.

De nouveau, l’on se met à table. La femme sort le pain blanc, léger et savoureux qu’elle a cuit le matin. Charlot le mastique gravement, lourdement. C’est étrange. Il a bien travaillé, mais il n’a pas faim. Il ne mange pas avec appétit. Plus que jamais, il a l’impression d’être un étranger dans cette maison où s’est écoulée sa jeunesse, où son père est mort. Oui, malgré le spectacle des champs, la vue des bâtiments, des arbres familiers, et des voisins d’autrefois, ce n’est plus la même chose. C’est que ce soir, dans une heure, il retournera au village reprendre sa monotone existence de petit rentier. C’est que demain, il s’éveillera sans but, sans occupation, en se demandant comment il pourra bien tuer le temps. C’est qu’il en sera ainsi toujours et toujours. Il a