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LA SCOUINE

Il se représente aussi la joie qu’il aurait à fendre des éclats pour chauffer le four. Comme ce serait bon ! Même, il serait satisfait de charroyer de l’engrais. Oui, s’éveiller un matin, faire son train, puis, après le déjeuner, atteler le poulain sur le tombereau bleu, et s’en aller devant l’étable, le remplir au tas de fumier qui fermente et d’où s’élèvent dans l’air lumineux de petites colonnes de vapeur. Quel rêve ! Il entendrait chanter le coq et verrait les poules picorer dans la cour. Sa voiture comble, il jetterait une poignée de paille sèche pour s’asseoir, puis, un pied sur le timon et l’autre pendant, il s’en irait conduire la charge au champ et sentirait sous lui la tiédeur de la fumure qui engraissera la terre. Quelle bonne senteur aussi ! Et comme ce serait agréable d’entendre tout-à-coup se briser avec l’éclat de mille verres de cristal, la mince couche de glace qui s’est formée pendant la nuit sur le fossé et que la chaleur du soleil après l’avoir silencieusement sapée, précipite au fond. Ah ! quelle musique ce serait !

Et Charlot plongé dans cette rêverie, se lève pour aller jeter un coup d’œil à la fenêtre, mais il n’aperçoit que le cimetière, la terre qui ne sera jamais labourée, qui ne rapportera jamais aucune récolte, la terre que l’on ne creuse et que l’on n’ouvre que pour y déposer les restes de ceux qui furent des hommes…

Et Charlot s’ennuie. Il s’ennuie désespérément, atrocement.

S’il entend sonner les glas pour des funérailles, vite, il prend son chapeau et se rend sur le perron de l’église pour rencontrer les vivants qui font escorte au mort, les vivants qu’il a connus et qui lui