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LA SCOUINE

quelle destination, des gens que la vie appelle et agite. Ici, on n’attend que la mort.

L’hospice avec ses vieux, la ferme désolée, la rivière et les collégiens qui vont s’y baigner, et le pont avec ses convois, forment le panorama que les Deschamps ont sous les yeux.

Mais la Scouine est satisfaite ou à peu près. Comme elle n’a plus rien à faire, elle assiège le curé et son vicaire. Sous le moindre prétexte, elle va les voir au presbytère. Elle s’arrange pour se trouver sur leur passage lorsqu’ils sortent. Patiente, rusée, elle surgit devant eux au moment où ils s’attendent le moins à la voir. Vulgaire, familière, elle est devenue un véritable cauchemar pour les deux prêtres. Ils la fuient comme le choléra, mais ils ne peuvent réussir à l’éviter, à s’en débarrasser. Chaque fois qu’elle l’accoste, le vicaire rougit. Il regarde autour de lui pour voir si personne n’est là. Cette grossière sympathie qui tourne à la persécution est pour lui un martyre, une torture. Il est tellement agacé qu’il ne peut préparer ses sermons.

Les frères du collège ne sont pas à l’abri des entreprises de la Scouine. Il lui arrive parfois de les aborder sur la rue, de leur flanquer une vigoureuse claque sur l’épaule en leur apprenant qu’il fait une belle journée ou que la pluie menace de tomber.

Des matins de printemps, Charlot malgré ses infirmités et sa jambe boîteuse, se sent des velléités de travail. Il songe au plaisir qu’il aurait à se trouver avec une bonne vieille hache bien aiguisée, devant un tas de piquets de cèdre à appointir. Il lui semble voir la lame luire au soleil alors qu’elle s’abat et qu’elle fait voler de larges copeaux blonds et odorants.