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LA SCOUINE

tous ceux qu’elle a connus, qui sont disparus avant elle.

Et la croisée se referme.

Le silence se fait, et l’on n’entend plus que le bruit de l’eau qui tombe du barrage de la rivière Saint-Louis, bruit qui s’effrite tout le long du jour, mais qui devient plus distinct le soir. Souvent, après souper, Charlot et la Scouine s’endorment sur leur chaise à cette musique.

Deux fois par semaine, le mardi et le jeudi après-midi, les collégiens viennent, sous la surveillance d’un frère, se baigner sous la digue. Charlot et la Scouine en remarquent deux dans le groupe qui portent toujours des sous-vêtements rouges vif qu’ils gardent en prenant leur bain.

Des jours, Charlot s’abîme longuement dans la contemplation de la rivière tortueuse comme une anguille et qui, bordée de sapins et de bouleaux, roule une eau boueuse, verdâtre, presque croupissante. Stagnante comme son existence, songe l’ancien fermier. Tout à côté, est un bois de noyers dans lequel la jeunesse va cueillir des noix les dimanches d’automne.

De l’autre côté de la rivière, presqu’en face de la maison des Deschamps, est une ferme isolée. Les bâtiments en ruines sont toujours entourés de deux ou trois meules qui font de curieuses masses d’ombre, pleines de mystère, lorsque le soir tombe. Cette grange et ces meules dégagent une impression d’indicible désolation.

Près de là, la rivière est traversée par un pont en fer sur lequel passent à toutes les heures du jour et de la nuit, en faisant résonner une cloche automatique, des trains qui transportent on ne sait où, vers