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LA SCOUINE

Le vent soufflait du sud.

Un volier d’outardes passa.

Charlot traînait sa jambe boiteuse. Son talon heurta l’anneau en fer de la porte de cave qui rendit un son lugubre comme un glas.

À quatre heures, Charlot attela.

Au moment de partir, la Scouine barra la porte puis, comme elle faisait chaque dimanche avant de partir pour la messe, elle cacha la clef sous le perron. À ce moment, elle se rappela soudain qu’elle ne reviendrait plus. Elle la reprit donc et la mit dans sa poche.

À côté de la maison, le vieux four qui pendant si longtemps, avait cuit le pain sur et amer et en arrière duquel s’élevait une touffe de hauts tournesols, ouvrait une bouche béante et noire comme s’il eût voulu crier un suprême adieu.

Et à côté, la pelle et le fourgon paraissaient comme les inutiles béquilles d’un infirme devenu irrémédiablement impotent.

Il commença à pleuvoir légèrement, et Charlot recouvrit sa charge d’une toile cirée noire, ce qui donnait à la voiture l’aspect d’un corbillard.

L’on partit.

L’attelage avançait sur la route que Mâço avait suivie chaque dimanche et souvent la semaine, pendant plus d’un demi-siècle, c’est-à-dire depuis son mariage ; la route qu’elle avait suivie lors de la première communion de ses enfants, du mariage de deux de ses fils et de la mort de sa fille Caroline. Aux fenêtres, des gens regardaient passer l’équipage. À chaque ferme, les cultivateurs vaquaient à leurs travaux. Son habit accroché à un pieux de la clôture, Frem Quarante-Sous labourait son champ. Le soc