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LA SCOUINE

clôture, ou assis sur une pierre près d’un puits, se parlant à lui-même. Parfois, il poussait jusque chez les voisins, et là, regardait les gars rentrer le foin, le grain, soigner les animaux, puis oubliant qu’il était chez des étrangers, et se croyant chez son fils, disait :

— Malheur, Raclor, t’as de la belle avoine.

Son estomac délabré ne pouvait plus digérer. Souvent au repas, s’adressant à sa fille :

— Paulima, va m’cri du pain de messe, ordonnait-il.

La Scouine partait alors et s’en allait demander aux Lecomte de lui échanger l’une de ses galettes sures et amères, lourdes comme du sable, contre l’une de leurs miches blondes et légères. Bonnes gens, les Lecomte rendaient ce service et jetaient ensuite à leurs poules la nourriture immangeable.

Le vieux devenait gâteux, malpropre. Il souillait maintenant son pantalon comme enfant il avait sali ses langes, et presque chaque jour, les deux femmes avaient la tâche répugnante de le nettoyer.

Débraillé, la barbe inculte, ceinturé d’une courroie en cuir prise à un harnais, il rôdait sans but autour des bâtiments, entrait à la maison, demandait l’heure, l’oubliait le moment d’après, et ne savait plus si l’on était dans l’avant-midi ou l’après-midi. Graduellement, il faiblissait. La machine humaine détraquée, ne fonctionnait plus, ne valait guère mieux qu’un amas de débris.

L’on était en septembre lorsqu’il s’alita. La fin parut proche, une question de jours seulement. Charlot alla au village chercher le docteur Trudeau. En revenant, les deux hommes rencontrèrent le vieux Firmin, l’un des frères de Deschamps, qui s’en allait