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XXVII.



DEUX tombereaux se rencontrèrent, un vendredi matin, sur la route boueuse où les roues laissaient une profonde empreinte dans la glaise détrempée.

Bagon le Coupeur, assis sur le devant de sa voiture, ses petites jambes pendantes, conduisait au champ voisin une charge de fumier, et Tofile s’en allait au cimetière enterrer le Schno.

La terre allait être engraissée.

Le chien Pitou, d’un air résigné, suivait.

Le Coupeur, plus laid et plus pitoyable que jamais, courbait la tête sous la pluie grise et fine qui faisait ruisseler les branches noires des frênes. Assis sur son fumier, il faisait songer au patriarche Job.

Lentement, sous l’ondée, les deux voitures se croisèrent, et Bagon le Coupeur jeta en passant un long regard sur la bière que Tofile avait lui-même fabriquée la veille avec une vieille porte de grange hors d’usage.

Sans parents et sans amis, comme dans la vie, sans autre suite qu’un pauvre chien maigre et affamé, le Schno s’en allait à sa dernière demeure. À travers les interstices des planches vermoulues, ses pieds nus, à la dure écorce, aux ongles crochus, apparaissaient.

La Scouine, qui revenait de traire ses vaches, vit passer le tombereau emportant le cadavre du