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LA SCOUINE

saient de boire à même le seau. La Scouine avait beau leur enfoncer la tête dans la chaudière, ils renâclaient bruyamment comme s’ils se fussent noyés, et il se produisait un bouillonnement, des bulles à la surface. Le cou raide, le veau résistait. S’il refusait absolument de boire, la Scouine se mettait la main dans le lait, et donnait ses doigts à téter à l’animal. Le stratagème était sûr de réussir. Dans la bonne senteur de l’herbe verte et du sarrasin en fleurs, la Scouine éprouvait une singulière volupté à sentir la langue râpeuse lui lécher la main et les doigts.

S’ils tombaient malades, elle savait les soigner, leur donnant du thé de foin ferré pour la colique.

Le dimanche, Frem et Frasie Quarante-Sous toujours droits et immobiles comme des statues, sur le siège de leur boghei, et les autres gens se rendant à l’église, la voyaient en jupe d’étoffe bleue et en mantelet brun, donnant à boire à ses veaux. Lorsqu’ils étaient bien saouls, ils se couchaient et dormaient au soleil.

Chaque printemps, la Scouine en adoptait un particulièrement, et l’entourait de mille soins. Peu à peu, elle venait à l’aimer autant qu’un de ses frères, mieux même, finissait par éprouver pour lui une sollicitude presque maternelle.

Chaque printemps aussi, le Coupeur passait.

Il parcourait les routes, arrêtant de maison en maison, et s’informant s’il n’y avait pas de bêtes à châtrer. L’homme allait par la campagne avec un sac en cuir renfermant des bois et son couteau à manche de corne blanc, à la lame presqu’usée, mais aussi tranchante que celle d’un rasoir.

Bagon était en quelque sorte le coupeur officiel de la paroisse. Depuis vingt-cinq ans au moins qu’il