Page:Laberge - Images de la vie, 1952.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
IMAGES DE LA VIE

— C’est ben triste, on va se faire mettre à la porte de chez nous, déclara le vieux.

— Qu’est-ce que je vais faire ? Mon Dieu ! Qu’est-ce que je vais faire ? se lamenta la pauvre Victorine.

Le lendemain après-midi qui était un samedi, alors que le vieux fumait sa pipe assis sur une marche du perron, le chauffeur de taxi Dubeau qui revenait de la gare descendit de sa voiture et lui remit un télégramme. Et comme le père Marleau regardait d’un air égaré ce bout de papier : « C’est pour vous », déclara l’homme. « L’opérateur m’a demandé de vous donner ça en passant. C’est important. »

Tout troublé parce que c’était la première fois de sa vie qu’il recevait une dépêche, le vieux regardait son nom tracé sur cette feuille et avait l’esprit comme paralysé. Finalement, comme pour avoir de l’aide, il appela : Victorine ! Celle-ci sortit de la maison.

— C’est un télégramme qui arrive, fit-il, en lui montrant le carré de papier.

— Pis, qu’est-ce qu’il dit ? demanda la femme.

— Je ne sais pas.

— Hé bien, ouvrez-le. Qu’est-ce que vous attendez ?

Alors, à cet ordre, Cléophas Marleau déchira maladroitement la feuille et lut : Votre fils Napoléon Marleau tué sur les champs de bataille. Tous mes regrets.

Thomas Sullivan, ministre de la guerre.

Le vieux et sa fille demeurèrent un moment atterrés, muets de surprise et de douleur. Ils étaient là immobiles sur le perron, se regardant sans parler, le vieux tenant toujours froissé dans sa main le papier qui lui apportait la mauvaise nouvelle, puis, lentement, les jambes lourdes, le père et la fille entrèrent dans leur maison.

Le soir, le vieux alla voir le curé, le priant de recommander son fils aux prières, lors du prône, le dimanche. En outre, il lui remit le montant voulu pour chanter une grand-messe le lundi, pour le repos de l’âme du défunt.

C’était une famille bien éprouvée.