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LE POÈTE


Il est en bronze et, sur le square blanc de neige, au milieu des hauts érables dénudés, son buste regarde le soleil levant.

Indifférents, les passants défilent devant lui tout le jour et tard dans la nuit, sans le voir, courant à leurs affaires, à leurs plaisirs, ou écrasés par leurs peines, allant à leur destinée.

Pendant cette rude saison de neige et de frimas, la physionomie du poète change souvent. Il y a quelques jours, après une tempête, je l’ai vu déguisé en marquis d’autrefois avec un manteau d’hermine sur les épaules.

Un matin qu’il avait neigé toute la nuit, je l’ai trouvé encapuchonné, emmitouflé, comme nos braves gens de la campagne, dans les grands froids.

Hier, j’admirais sa belle tête blanche, si digne.

Je ne peux oublier l’impression qu’il m’a causée il y a quelques jours alors que je lui ai vu des yeux couleur de lune, des yeux d’aveugle qui regardaient obstinément devant lui.

Où donc va-t-il ce soir, le poète, avec son plastron immaculé ?

Tout dernièrement, par un temps doux, le poète semblait en proie à la fièvre et des sueurs lui coulaient des tempes sur les joues, jusqu’au menton.

Chaque jour d’hiver sa figure prend un nouvel aspect.

Seul sur le square blanc et glacé, au milieu des érables aux grands rameaux noirs, le poète songe. Il évoque les jours de l’été, les jours de frais ombrage, la verdure, le chant des oiseaux, la chanson de la pluie sur les feuilles, les enfants qui jouent sur le gazon près de leur mère, les vieillards silencieux dont la vie est presque finie qui, assis sur un banc, supputent le nombre de jours qui leur restent ou qui ne pensent à rien.

Le poète revoit la figure de ce sage qui, chaque jour, à