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BONHEUR INATTENDU


Les deux femmes, la tante et la nièce, toutes deux célibataires, vivaient dans leur vieille maison, en face du lac, à Beaufresne. Elles étaient à cinq minutes de l’église où chaque matin, beau temps, mauvais temps, la tante Caroline Sarentie, allait entendre la messe. Emma, la nièce, se bornait à se conformer au précepte de l’église et à assister à l’office du dimanche.

Le produit de leur jardin et de très modestes rentes leur permettaient de subvenir à leurs besoins. La vieille avait soixante-huit ans bien sonnés et la nièce en avait trente-cinq. Celle-ci avait hérité de la maison de son père, Zotique Sarentie, mort il y avait dix ans.

L’existence de Caroline et d’Emma Sarentie était la plus monotone, la plus routinière qu’on puisse imaginer. Aujourd’hui ressemblait à hier et demain ressemblerait à aujourd’hui. Il en avait toujours été ainsi depuis la mort du père et il en serait toujours de même jusqu’à la fin de leurs jours.

Depuis très longtemps, la tante avait versé dans la dévotion, non pas une dévotion mystique, mais une dévotion grossière, une dévotion de fétiche qu’on aurait pu qualifier de culte de la soutane. De voir un moment le prêtre revêtu de son costume religieux, elle éprouvait un contentement intime, se sentait toute heureuse. Autrefois, il y avait bien douze ans, elle allait à confesse chaque semaine et recevait la communion le dimanche matin. C’était ainsi. Plate, longue et mince, toujours vêtue d’une robe noire, elle s’agenouillait chaque samedi dans le confessionnal et dévidait la même litanie de fautes vénielles :

— Mon père, je m’accuse d’avoir eu des distractions en récitant le chapelet, je m’accuse d’avoir fait un mensonge,