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IMAGES DE LA VIE

Après avoir connu des jours prospères dans les premiers temps de son mariage, elle en était arrivée par suite de la mauvaise conduite de son mari et de sa passion pour l’alcool, à mener une existence précaire et gênée.

Lorsque arriva le régime de la prohibition, Restaire eut plus de difficultés à trouver à boire. Avec l’hiver et le départ des citadins, les occasions de se procurer quelque argent étaient devenues plus rares.

Restaire devint neurasthénique. Il passa des nuits et des nuits sans dormir. Son esprit se dérangea, s’obscurcit.

Il refusait de manger, passait les journées à pleurer à l’écart.

— Il est si laid, il fait de telles grimaces, il est si épouvantable à voir, que je ne peux le regarder, disait sa fille aînée.

Comme il paraissait inoffensif, sa famille laissait faire, ne s’alarmait pas trop.

La crise de Restaire durait depuis plus de trois semaines. Un matin, sa femme ayant affaire à aller au village s’habilla pour sortir.

— Emmène donc la petite avec toi, lui dit son mari. Elle va s’ennuyer ici.

Et Mme  Restaire partit avec Yvonne, une fillette de dix ans.

Lorsqu’elle revint à la maison une heure et demie plus tard, elle ne vit pas son homme. Il n’était pas dans la cuisine. Il n’était pas dans sa chambre. Elle l’appela : personne ne répondit. Chose certaine, cependant, il n’était pas sorti, car son chapeau et son paletot étaient là, accrochés à leur place habituelle. Un peu inquiète, Mme  Restaire monta à l’étage supérieur. En entrant dans le grenier, elle aperçut le corps de son mari pendu avec la corde à linge, près de la fenêtre. Les pieds étaient à peine à six pouces du plancher, et la figure était violette, noire, grimaçante. Horrifiée à cette vision, la femme redescendit l’escalier à la course en poussant des cris de frayeur. Un jeune homme passait ; il entra, mais lorsqu’il apprit que le père Restaire s’était suicidé, il eut peur et refusa de monter le décrocher. Des voisins accoururent aux clameurs