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DANS LA NUIT BLEUE


Dans la prodigieuse nuit bleue le blond cadavre pendu à l’une des solives du plafond de la haute et vaste chambre semblait s’allonger hors de proportion, comme vu dans l’eau. Le corps était nu, d’une nudité glorieuse et la figure, celle d’un jeune homme de vingt ans. Sans la corde encerclant le cou, on eût pu croire à un envolement, et dans la pièce régnait un silence absolu, implacable. Pas même le tic tac du cadran doré qui gisait sur le plancher, car avant de mourir, il en avait brisé le ressort pour indiquer que le temps n’existait plus pour lui.

Beau de la beauté des êtres aimés, mais sentant déjà dans la radieuse jeunesse la vanité de toutes les joies, il avait voulu s’évader et, dans la nuit bleue entrant par les fenêtres, il était là accroché au plafond par une corde, insensible désormais à tous les regrets, à toutes les peines, à toutes les déchéances.

Comme un parfum, la jeune femme entra, rayonnante, dans la pièce, mais en un instant, une transformation tragique s’opéra en elle. À la vue de cette forme immobile suspendue là devant elle, sa raison sembla crouler. Avec un cri étouffé, elle se précipita sur le corps de l’homme aimé, l’étreignit, le pressa frénétiquement dans ses bras, palpa de ses fines mains les membres froids. Puis les sanglots, de lourds sanglots la secouèrent toute. Elle leva la tête et regardant la figure qui la dominait, ses lèvres prononcèrent son nom. Soudain, comme dans une crise d’hystérie, elle se mit à crier : Mort ! mort ! mort ! Et cette pensée la torturait au plus profond de son être. De nouveau, elle répéta : Mort ! Ce mot ainsi prononcé lui donnait l’impression d’un coup de couteau qu’elle se serait donné elle-même. Comme pour sa-