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IMAGES DE LA VIE

Dans ses yeux, dans sa figure, je voyais la hantise du trou noir où la bête humaine pourrit, se décompose et retourne aux éléments, l’horreur de la fosse où tout finit, la fosse dans laquelle on dépose votre corps en putréfaction…

Il faisait pitié à voir le vieil homme.

— Je vous ai déjà vu, lui dis-je. Nous avons causé quelques minutes. Le vieux leva vers moi un regard indifférent.

— C’est possible, dit-il après un long moment. Je ne m’en souviens pas.

Il avait oublié et ma face et notre brève rencontre.

— Je vais aller me reposer, fit-il d’un ton faible.

Il s’en alla de son côté, moi du mien.

Je ne l’ai plus revu.

Parfois, au cours de mes promenades quotidiennes, de mes flâneries, j’évoque la vision du passant anonyme qui se sentait si seul dans la grande ville, si solitaire dans la vie, du vieil homme qui avait une telle frayeur de la mort, mais jamais plus je ne l’ai aperçu. Languit-il dans son triste logis ou a-t-il quitté ce monde rempli d’amertume et d’affliction ? Je n’en sais rien.