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IMAGES DE LA VIE

vant à peine se remuer, calée sur sa berceuse en bois dont le dossier est recouvert d’une espèce de tapis rouge, fabriqué à la maison.

— Quel âge avez-vous ? interroge la vieille.

— On a dix ans toutes les deux, mémère, répond Ernestine.

Le silence se fait. Le grand-père dort. La vieille pense à sa maladie et les deux cousines se tiennent bien sages, l’une à côté de l’autre. Comme s’il était muet, Émile, un cousin de vingt-cinq ans, place lentement les assiettes et les tasses sur la table, puis il apporte dans un grand plat la dinde qu’il vient de sortir du fourneau. D’un rapide coup d’œil, les petites ont vu le volatile. Elles ont aperçu du duvet, des tiges noires. Evidemment le garçon qui a plumé la dinde a mal fait sa besogne.

— Maintenant, on va manger. Vous allez rester à dîner et l’on va prendre ensemble le repas du jour de l’an fait la grand-mère hydropique en s’adressant aux petites.

Celles-ci se poussent du coude.

— Oh ! non mémère, merci. Maman a dit de venir vous souhaiter la bonne année, mais elle nous a recommandé de ne pas nous attarder. Bonjour !

— Ma pauvre p’tite fille ! Mon pauvre p’tit Hector ! larmoie le grand-père en s’éveillant, et il se remet à pleurer.

Les fillettes sortent.

— Non, mais as-tu vu le duvet et les plumes ! s’exclame Ernestine d’un ton de profond dégoût.

— Je n’aurais pas mangé de ça même s’ils m’avaient donné une piastre, renchérit Odile.

Dans l’intérieur de la maison :

— As-tu vu ces becs fins qui ne trouvaient pas le dîner à leur goût, fait la vieille en s’adressant à son fils. Bien certain qu’elles n’auront pas chez elles un repas comme ça.

— Oui, elles se sauvent ; on dirait qu’elles ont mal au cœur de notre manger, répond le fils, mais laisse faire, remarque-t-il philosophiquement ça nous en fera plus pour nous.

— Comment, vous n’êtes pas allées voir grand-maman,