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DÎNER DU JOUR DE L’AN


Le matin du jour de l’an, comme la jeune Ernestine et sa cousine Odile rentraient à la maison après être allées à la messe, Mme Demance dit à sa fille : « N’enlève pas ton manteau. Tu vas aller souhaiter la bonne année à ta grand-mère. Puis, si elle t’invite à dîner, tu resteras.

— Oui, maman, répondit Ernestine.

— Je t’accompagne, fit Odile.

Et les deux fillettes partirent.

C’était dans une petite maison basse de la rue Barré qu’elle habitait la grand-mère. En arrivant, elles l’aperçurent, énorme, assise devant sa fenêtre, regardant ce qui se passait au dehors. Hésitantes, elles s’approchèrent de la porte, se poussant l’une l’autre, pour ne pas entrer la première.

— Qu’est-ce que vous voulez, petites effrontées ? leur cria la vieille qui ne reconnaissait pas les jeunes visiteuses.

— C’est nous autres, mémère, répondit Ernestine.

Alors, elles entrèrent et souhaitèrent la bonne année à la vieille qui les embrassa sur la joue.

Assis sur une étroite chaise de paille, le grand-père qui avait ingurgité plusieurs verres de bière depuis le matin, regarda la jeune Ernestine et d’une voix attendrie, un peu pâteuse, pleurniche : Ma pauvre p’tite fille ! Mon pauvre Hector ! ajoute-t-il, en songeant à son fils, le père de la petite, mort alors qu’elle n’avait que six mois. Et le voilà qui se met à pleurer. Après la bière qu’il avait bue, il avait la larme facile. De lourds pleurs lui coulaient sur les joues et jusque sur le côté du menton. Il était tout remué. Puis sa figure s’abaisse doucement, se penche sur sa poitrine. Il dort… Peu bavardes, les fillettes regardent le vieux qui sommeille sur son siège et la mémère énorme, hydropique, pou-