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LE MENUISIER SE MARIE


Lorsqu’il ouvrait la bouche, Amédée Dufour, menuisier du petit village de l’Acadie paraissait avoir des idées bien arrêtées. D’ailleurs, il était arrivé à l’âge où l’on parle après réflexion et en connaissance de cause. Il aurait trente-sept ans à la saint Michel.

Un garçon qui se marie est un être bien embarrassé de lui-même, déclarait-il à un camarade, en retournant, sa journée faite, à la maison paternelle. Un homme ne devrait jamais se marier. C’est clair. Tu prends une étrangère, tu l’amènes chez toi et tu travailles ensuite à cœur d’années pour la faire vivre. C’est ça le mariage. Pas pour moi.

Mais une semaine plus tard, il annonce à un ami : Je me suis fiancé avant-hier.

— Tu m’dis pas ?

— Oui. Mon père m’a dit que je devrais me marier, m’établir, fonder une famille.

— Mes félicitations. Pis, ta future est jeune ?

— Non, c’est une veuve de trente-cinq ans. Elle a l’expérience de la vie et sait ce qu’elle fait.

— Alors, tout est décidé, réglé ? Il ne reste plus qu’à passer le contrat ?

— Oui, c’est ça. Mais il y a une petite difficulté. Ma future femme dit qu’elle veut porter pour la circonstance un diadème et une robe longue comme dans les grands mariages. Sa mère aussi veut une robe à traîne pour sa fille. Moi je lui ai répliqué qu’un menuisier qui s’en va se marier avec sa future en robe longue est un sacré fou. Et je ne suis pas fou. J’ai dit : Écoute, Émilia, si tu te rends à l’église en robe longue, moi je porterai des salopettes bleues. C’est comme ça.