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IMAGES DE LA VIE

— J’avais entendu dire que vous n’étiez pas bien. Alors, j’ai voulu venir vous voir, car vous le savez, je m’intéresse à tout mon monde.

— C’est bien aimable à vous, monsieur le curé. J’ai été légèrement malade, mais je suis parfaitement rétablie maintenant.

— Oui, vous êtes bien aujourd’hui, mais vous n’êtes pas solide. Il ne faudrait pas grand-chose pour vous emporter. Vous n’en avez pas pour longtemps à vivre. Quel âge avez-vous ? Soixante-quatorze ans ?

— Soixante-treize, rectifia doucement Mlle Durocher.

— Oh ! soixante-treize, soixante-quatorze, la différence n’est pas grande. Vous savez, il faut s’en aller un jour et il faut se préparer. La première chose, c’est de vous détacher des biens de la terre. Tiens ajouta-t-il en désignant d’un geste un large et profond fauteuil en cuir d’apparence fort confortable, ça c’est pour moi. C’est justement l’article pour ma salle à manger. Je pourrai m’installer là dedans après dîner et faire un bon petit somme. Et cette berceuse, dans le coin accommodera très bien ma nièce qui est infirme. C’est entendu, ces deux chaises-là sont pour moi.

Avisant une gravure sur acier accrochée au mur : Tiens, ce cadre-là a sa place toute marquée dans mon bureau. Je le réserve aussi. Vous ne l’emporterez pas en terre, hein ?

Le curé allait et venait dans la pièce, inspectant toutes choses. Par la porte ouverte de la chambre à coucher, il aperçut une haute et large armoire en chêne.

— Oh, oh, un beau meuble ! s’exclama-t-il. Ça, ce sera pour l’hospice. Vous voyez, je vous débarrasse de votre superflu. D’ailleurs, je représente le Bon Dieu et vous ne pouvez faire mieux que de donner au Bon Dieu ce dont vous n’avez plus besoin.

Toute pâle, étourdie par ces paroles brutales, la demoiselle Durocher que l’on dépouillait si cavalièrement n’en revenait pas de ce qu’elle entendait.

— Puis, vous avez de l’argent, hein ?

— J’en ai un peu, reconnut la vieille demoiselle.