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IMAGES DE LA VIE

LE CURÉ EN VISITE


Après un copieux déjeuner, le curé Bireault de la petite ville de Lasnier se promenait sur sa véranda. Il jouissait de la satisfaction que donnent un bon repas, une heureuse digestion et l’absence de tout souci. Les mains dans les poches de sa soutane et rempli d’un grand bien-être, il allait et venait sur sa galerie. Par moments, il avait un sonore renvoi de l’estomac, témoignant qu’il n’était pas à jeun. Soudain, il eut une inspiration : Je vais aller voir Mlle Durocher, se dit-il à lui-même, et je vais y aller à l’instant.

Cette demoiselle Durocher n’était pas une jeune, fraîche et jolie fille, bien faite pour réjouir la vue d’un honnête homme. C’était une vieille personne souvent malade, possédant quelques biens et qui vivait seule à l’autre bout de la ville. Le curé Bireault estimait qu’il y a autre chose que la beauté dans la vie et il n’attachait aucune importance à une chose aussi passagère et aussi frivole. Là-dessus, il enleva sa barrette, prit son chapeau et sa canne et, d’un pas alerte, car il n’avait pas encore quarante ans, s’en fut par les calmes rues de la cité, se dirigeant vers la demeure de la vieille demoiselle. Celle-ci habitait une maison en brique précédée d’un jardinet de trois verges, renfermant quelques plants de géraniums, de dahlias et de phlox. Le prêtre souleva le marteau de la porte et entra sans plus tarder.

— Bonjour, Mlle Durocher, fit-il en déposant son chapeau et sa canne sur la table du salon.

— Bonjour, monsieur le curé, répondit la vieille demoiselle qui accourait de sa cuisine enveloppée d’une robe de chambre en flanelle rose et coiffée d’un bonnet de fantaisie de même nuance. Asseyez-vous donc, je vous prie.

Mais le curé restait debout, allant et venant dans la pièce, examinant curieusement cet intérieur.