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LES CROIX DE BOIS


Depuis quelques jours, peut-être des semaines, j’étais malade, consumé par la fièvre. Quotidiennement, le médecin venait me voir, tâtait mon pouls, m’enfonçait son thermomètre dans la bouche comme il aurait obligeamment poussé une cigarette entre les dents d’un manchot. Puis, avec un regard de complicité vers ma femme, il déclarait que mon état s’améliorait. Je feignais, de le croire, mais je n’étais pas dupe. Ensuite, ma compagne me faisait prendre des remèdes désagréables, amers, mais malgré cela, je ne guérissais pas. Je me sentais faible, le corps brûlant et très malheureux. Je posais des questions qui faisaient sourire ou attristaient ma femme. Même, à une couple de reprises, je la vis pleurer. La chambre où je me trouvais avec sa collection de fioles de la pharmacie rangées sur le bureau me fatiguait, m’écœurait. J’aurais voulu m’évader, aller ailleurs. Et comme il arrive parfois à certains malades, je désirai revoir la vieille maison paternelle, en campagne, la maison où j’avais grandi et où s’était écoulée ma jeunesse. Avec énergie, je demandai à y être conduit. C’est là que je guérirais, déclarais-je, car, si je restais ici où je suis, je mourrais. L’idée était absurde, je le reconnais aujourd’hui. Naturellement, on m’opposa toutes sortes de prétextes pour refuser, mais j’insistai tellement qu’à bout d’excuses et de raisonnements, ma femme consentit à se rendre à ce caprice de malade. Un taxi vint donc me chercher. C’était l’hiver et la campagne était toute couverte de neige. L’on était à la fin de l’après-midi et l’aspect du paysage était loin d’être réjouissant. Il était attristant au possible. De la neige et de la neige. Des maisons couvertes de neige et de grands arbres noirs et nus qui semblaient souf-