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L’ENFANT PRODIGUE


Cette histoire remonte à cinquante ans et m’a été racontée par mon grand-père.

Mathias Lefort était l’habitant le plus à l’aise du rang de la Blouse. Il possédait une belle terre de cent arpents, une bonne maison de brique et avait en plus un compte de deux mille piastres en banque. Cette petite fortune il l’avait acquise par son travail, sa frugalité et son esprit d’économie. Aujourd’hui, il avait soixante ans et comme il le disait, il était encore alerte et bien portant. Cependant, il n’était pas heureux et il y avait quelque chose qui le chicotait. En effet, il avait un garçon paresseux, ivrogne et sans cœur. Allez donc avec cela parler des lois de l’hérédité. Le père qui avait réussi dans la vie, qui avait amassé du bien, aurait aimé que son fils fasse bonne figure parmi la jeunesse de la paroisse et il l’avait greyé du mieux qu’il avait pu. Il lui avait acheté un beau complet, un boghei comme il n’y en avait pas un autre dans le comté, un attelage argenté et lui avait accordé l’usage d’un cheval exempté des gros travaux. Peu de garçons de la place auraient pu rivaliser avec lui. Ajoutons que Clément, car c’était son nom, était bien fait de sa personne et avait un abord engageant. Un dimanche matin, vers le milieu de l’été, il partit pour la messe dans son bel équipage mais ne revint chez lui que le mercredi avec un vieil habit sur le dos au lieu de l’élégant complet qu’il avait en partant. Et le père apprit que Clément avait échangé celui-ci pour la pitoyable défroque qu’il avait maintenant et qu’avec l’argent reçu en retour, il avait bu pendant trois jours.