Page:Laberge - Images de la vie, 1952.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
IMAGES DE LA VIE

— Ben, j’vas vous dire, je regrette de m’en aller parce que, je vous le déclare aujourd’hui, il y a deux ans que je vous aime et si j’avais eu de l’argent, je vous aurais mariée. Mais je n’ai que ma pension de vieillesse, ajouta-t-il tristement, et deux personnes ne peuvent pas vivre avec ce montant. C’est ce qui m’a toujours retenu de m’en aller avant aujourd’hui, mais il faut que je sois raisonnable. À quoi bon rester ? Je suis seul ici, tandis que là-bas, je serai avec ma fille, mais je suis bien certain que je ne vous oublierai pas. Il y avait de l’émotion dans sa voix.

— Puis, vous, continua-t-il en changeant son chapeau de main, vous ne vous ennuyez jamais seule ?

— Oh, ça m’arrive, mais je m’y habitue, parce que ça fait seize ans que mon mari est mort, seize ans que je suis veuve. On se fait à tout. Du moment que je réussis à gagner ma petite vie, je suis satisfaite.

— J’aurais été un bon mari et vous auriez été heureuse… mais c’est pas ça, maintenant que je vous ai dit ce que je tenais à vous dire, je m’en vais. Adieu.

Et tournant sur ses jambes raides et rhumatisantes, il sortit de cette maison où il était entré pour la première fois.

— Le vieux fou ! s’exclama la veuve en refermant sa porte et l’on ne pouvait savoir si c’était moquerie ou regret.